Auteur Sujet: Le passage verdoyant  (Lu 3831 fois)

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olafgdumvardangh

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Le passage verdoyant
« le: 22 décembre 2013 à 19:52 »


Prologue

La grande ziggourat dominait l'agglomération grillée par le soleil.
Chaque degré de cette pyramide était revêtu de briques vernissées de couleurs différentes:
violettes à sa base, puis indigo, azur, vert, jaune, orange vif et, pour finir, écarlate.
A tous les niveaux, des bastions imposants flanquaient l'escalier monumental
qui grimpait à la rencontre des lunes dorées,
deux astres dont le halo ambré nimbait un ciel brumeux où s'annonçait le lever de l'aube.

On pouvait voir sur cette construction des milliers d'esclaves à moitié nus
s'échiner au rythme des claquements des fouets, au sein de l'enchevêtrement des échafaudages, de cordes des innombrables palans.

Au pied du monument se dressait un petit personnage portant une robe pourpre
et le diadème d'or des rois de Tyr.
Des mèches brunes éparses dépassaient de la coiffe en métal précieux,
mais son cuir chevelu s'était dégarni au fil des ans.
La haine plissait ses sourcils et une rancœur millénaire durcissait son regard,
pinçait ses lèvres parcheminées.
Sur ses pommettes et sa mâchoire, la peau était flasque, décolorée et ridée,
comme s'il jeûnait depuis des siècles.
Ce qui était peut-être le cas.
Un homme en chasuble noire l'accompagnait.
« Modifié: 22 décembre 2013 à 20:20 par olafgdumvardangh »

olafgdumvardangh

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #1 le: 25 décembre 2013 à 13:28 »
Ses longs cheveux châtains réunis en tresse sur sa nuque
dégageaient un visage émacié caractérisé par un nez busqué et de petits yeux marrons.
Il était bien plus grand que le monarque...
ce qui alimentait sa nervosité.
Tithien de Mericles, Grand Templier des Jeux et dernier représentant de sa lignée,
avait trop de bon sens pour se féliciter de surplomber son roi.

Il remarqua qu'il lui faisait de l'ombre
et s'écarta en feignant de s'intéresser au revêtement de la ziggourat.
Dans chaque brique violette était incrusté un carreau d'albâtre à l'effigie du Dragon.
A l'extrémité de ses bras atrophiés, le reptile serrait dans des mains presque humaines
les bâtons sur lesquels il prenait appui pour redresser son torse.
Le long cou qui saillait de son collier d'écailles protectrices
supportait une tête aplatie privée d'oreilles aux yeux étroits
et à large gueule garnie de crocs irréguliers.
- Ce travail est admirable, sire.
Le rendu des détails est étonnant.

Kalak s'étira et referma sur son épaule des doigts noueux.
- Crois-tu que je t'aie fait venir ici pour t'extasier devant des briques ?
Sans attendre une réponse, il le guida vers une caisse que hissaient des esclaves.

Tithien grimaça.
C'était la première fois qu'il le voyait hors de sa Tour d'Or,
et il se perdait en conjectures sur les raisons de cette convocation à une heure si matinale.
Les intonations agressives du monarque laissaient présager des ennuis.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #2 le: 26 décembre 2013 à 12:33 »
Ils atteignirent le chargement qui s'élevait et Kalak agrippa la corde.
Ses pieds se détachèrent du sol.
Tithien retint un cri quand les doigts crochus du despote se plantèrent plus profondément
dans son épaule et qu'il sentit la terre se dérober sous lui.
Il se retrouva dans les airs, au dessus des travailleurs
qui apportaient des matériaux vers la base de la ziggourat.

Sidérés de voir deux hommes grimper dans le ciel,
ces esclaves interrompirent leurs tâches pour les fixer.
Leurs gardiens, des templiers de rang inférieur,
se servirent de leur fouets pour les inciter à se remettre aussitôt à l'ouvrage.

Kalak et Tithien arrivèrent à la hauteur de la première terrasse
et de quatre cents livres de poils et de muscles.
L'énorme baazrag cessa de hisser les briques
pour plisser ses sourcils obliques et les dévisager en inclinant sa tête
surmontée d'une grande crête.
Déconcerté, l'être bestial s'intéressa au vide qu'ils avaient sous leurs pieds
et la frayeur dilata son nez épaté.
Sa gueule s'ouvrit sur quatre canines jaunâtres acérées,
puis il lâcha la corde et recula en levant une de ses pattes
pour se protéger de ce qu'il pensait être un tour de magie.

A peine Kalak eut-il le temps de s'avancer sur la plate-forme
que la caisse tomba sur un esclave humain et l'écrasa.
Les yeux brillants de colère, le roi repéra un templier et l'appela:
- Toi !
Le surveillant se tourna et blêmit en le reconnaissant.
- Oui, ô Puissant ?
Kalak lui désigna le malheureux baazrag.
- Cet imbécile a détruit des briques !
Châtie-le comme il le mérite !

Le garde tréssaillit.
L'absence de vivacité d'esprit qui rendait ces créatures dociles
cédait parfois la place à de la folie meurtrière,
lorsqu'elles étaient maltraitées.
Mais il déroula son fouet pour exécuter les ordres reçus,
car il aurait connu une mort immédiate et atroce s'il avait désobéi à son roi.
« Modifié: 09 février 2014 à 19:03 par olafgdumvardangh »

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #3 le: 09 février 2014 à 19:28 »
Tithien ne put assister à la punition.
Kalak avait déjà ordonné à un prêtre de leur lancer une corde.
Deux esclaves les tirèrent vers le niveau suivant.
La main toujours refermée sur l'épaule de Tithien,
le roi répéta l'opération pour gravir les différents degrés de la ziggourat.
A chaque étape, des surveillants criaient des avertissements à leurs collègues
des étages supérieurs, dans l'espoir d'empêcher des travailleurs surpris
de faire d'autres dégâts.
La plupart étaient des humains, des nains ou des demi-elfes,
mais on trouvait sur certaines terrasses des représentants d'espèces plus exotiques.
Ils virent des meutes de belgoïs, ces humanoïdes décharnés à la peau légèrement bleutée
qu'on aurait pu prendre pour des hommes
s'ils n'avaient eu de larges pieds palmés,
des doigts munis de griffes et une bouche dentelée de petits crocs
aussi effilés que des lames de métal au dessus d'un menton étroit.
Ailleurs travaillaient une centaine de giths,
des êtres grotesques ressemblant vaguement à des elfes.
Aussi dégingandés que ces derniers,
ils avaient des jambes effilées qui saillaient de leur corps à angle droit
comme des pattes de lézard
et ils se voûtaient à tel point qu'ils paraissaient se déplacer à croupetons.
Les yeux protubérants et privés de paupières de leur étroite tête cunéiforme
restèrent rivés sur les deux visiteurs tant qu'ils n'eurent pas atteint la terrasse supérieure.
Le roi ne lâcha le templier que lorsqu'ils furent au sixième niveau de la ziggourat.
Un treillis d'échafaudages les empêchait de gagner le septième et dernier degré
par le même moyen.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #4 le: 26 mars 2014 à 19:52 »
Dans cette structure de bois fragile couraient des douzaines de jozhals,
de petits bipèdes reptiliens à la queue filiforme
et au long cou flexible, au mufle étiré et à la gueule garnie de crocs
aussi effilées que des aiguilles.
Ils couvraient avec dextérité les parois et le sol de briques rouges vernissées,
et ils se déplaçaient sur les passerelles branlantes
aussi rapidement que s'ils s'étaient trouvés sur le sol.
Kalak approcha et tendit l'index vers la terrasse en cours d'achèvement.
 - Ma ziggourat sera-t-elle terminée dans trois semaines ?
Tithien feignit d'évaluer l'avancement des travaux,
alors qu'il n'était pas qualifié pour donner un avis.
seul Kalak savait pourquoi il faisait ériger ce monument
et les imprudents qui avaient eu l'audace
de l'interroger trop souvent à ce sujet
n'étaient plus de ce monde.
Or, les connaissances du templier étaient encore moins étendues
en ce qui concernait sa construction.
 Que le roi lui eût demandé son opinion était étonnant,
et ennuyeux.
Il ne pouvait se permettre de répondre à la légère.
Il devait à la fois tenir compte de ce que Kalak souhaitait entendre
et en profiter pour servir ses intérêts.
 La Grande Templière des Oeuvres du Roi était sa rivale.
Kalak était visiblement remonté contre Dorjan,
et il eût été stupide de laisser passer cette occasion de lui nuire.
 - Alors ?
 Il se tourna vers son souverain et resta bouche bée,
émerveillé par ce qu'il découvrait de ces hauteurs vertigineuses.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #5 le: 20 mai 2014 à 12:17 »
De ce point d'observation, les arènes de Tyr ne semblaient pas plus vastes
que la cour de la demeure d'un petit seigneur
et on aurait pu prendre leurs gradins pour les murs en terrasses d'un jardin.
Même la Tour d'Or du palais de Kalak
qui se dressait à l'autre extrémité de la piste paraissait minuscule.
 Il y avait au-delà le Quartier des Templiers
et les résidences des six maîtres de cet ordre,
les belles bâtisses de leurs assistants
et les immeubles où logeaient les simples fonctionnaires.
Des centaines de gardes patrouillaient constamment dans ce secteur
qu'une haute muraille au faîte hérissé d'éclats d'obsidienne tranchants
isolait de la cité.
Il voyait du côté opposé les fortifications de Tyr,
assez larges pour qu'une armée pût s'y déplacer
et si élevées que même le Dragon n'aurait pu lorgner par-dessus.
 Du sommet de la ziggourat, Tithien apercevait les champs royaux:
un anneau large d'une lieue qui ceignait la ville
et où poussaient de l'herbe bleue,
des haies au feuillage doré
et du houx rampant.
Au-delà de ce sol rendu fertile par le sang et la sueur d'une multitude d'esclaves
s'étendait la terre rougeâtre aride de la Vallée de Tyr,
pointillée ici et là par des bosquets gris-vert
de tamariniers et de griffes-de-chat.
 A travers le voile de poussière
qui teintait en permanence le ciel athasien
d'un kaléidoscope de nuances pastel,
il discernait les pentes rocheuses dénudées des Monts Cernants.
Certains disaient qu'on trouvait derrière ces pics infranchissables
une jungle luxuriante, mais il n'accordait aucun crédit à ces fables.
Tout Athas devait ressembler à la Vallée de Tyr,
et il n'était pas à exclure que certaines régions fussent encore plus désolées.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #6 le: 23 mai 2014 à 11:17 »
 Kalak interrompit ses rêveries en répétant sa question.
 - Alors, Tithien ?
Ma ziggourat...
Dorjan la terminera-t-elle dans les délais ?
 Il veilla à ne pas attaquer directement sa rivale.
 - C'est une tâche difficile.
Qu'il y ait encore tant à faire a de quoi inquiéter,
mais je présume qu'elle a tout prévu.
 Sans faire de commentaires, le roi se tourna vers une templière qui approchait.
Bien que svelte et très belle, cette femme au teint ivoirin
et au nez bien proportionné n'était guère séduisante
tant sa personnalité inflexible et cruelle durcissait ses traits.
Dorjan venait vers eux d'un pas énergique
et le vent agitait sa longue chevelure soyeuse tel un étendard funeste.
Sitôt qu'elle vit Tithien, elle arbora un sourire condescendant.
 Deux subordonnés à la forte carrure la suivaient.
Ils traînaient entre eux un esclave blême et décharné
qui calait ses bras cassés contre son ventre.
Ce pauvre hère respirait laborieusement entre ses lèvres ensanglantées,
car son nez broyé s'étalait sur ses joues tel un masque rouge et noir.
 - Et la préparation de mes jeux, Tithien ?
 Kalak avait posé cette question avec désinvolture,
sans quitter le malheureux du regard.
 - Ils pourraient débuter demain,
si la ziggourat était achevée d'ici là.
Au fait, mes bestiaires ont capturé une créature qui devrait vous surprendre.
 - Vraiment ? Voilà qui m'étonnerait.
 Le grand templier s'adressa aussitôt de vifs reproches.
En mille ans de règne, Kalak avait dû voir des animaux plus extraordinaires.
Se vanter ainsi avait été stupide.
Le roi risquait d'être déçu.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #7 le: 29 mai 2014 à 16:24 »
 Il n'eut pas le temps de rattraper sa bévue
que Dorjan les rejoignit et s'inclina devant Kalak,
sans lui prêter attention.
Quand le vieux monarque lui présenta sa main ratatinée,
elle se baissa plus encore pour la prendre
et l'effleurer du bout des lèvres.
 Il s'écarta aussitôt pour désigner l'esclave.
 - Est-ce lui ?
 Elle sortit de sa poche un os gravé de runes.
 - Nous l'avons surpris alors qu'il scellait cette amulette
dans le couloir interne. Ces signes sont censés...
 - ...créer un mur invisible, je sais, grommela Kalak.
 Il s'empara de l'objet et l'agita sous le nez fracassé du captif.
 - A quoi devait servir ce colifichet ?
 L'homme haussa les épaules.
 - Je l'ignore. Elle voulait que je le dissimule dans ce passage,
et j'ai accepté.
 - Qui te l'a demandé ? s'enquit Dorjan en se tournant vers Tithien.
 Il remarqua qu'elle souriait et que le roi
avait reporté sur lui son attention.
 - Je ne connais pas le nom de cette demi-elfe, marmonna l'esclave.
Je sais seulement qu'elle appartient au Grand Templier des Jeux...
 - Sadira, précisa Tithien, car c'était l'unique demi-elfe qu'il possédait.
Une souillon qui fricote avec les rebelles.
 Dorjan se renfrogna.
 - Vas-tu prétendre que tu étais informé du complot ?
 - Certes, même si je dois avouer que je n'ai pas encore appris
ce que l'Alliance Voilée a prévu pour saboter les jeux, improvisa-t-il.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #8 le: 04 juin 2014 à 12:13 »
 Il dissimula sa surprise et prépara sa riposte
en feignant de s'intéresser aux échafaudages.
 - Mais je constate avec satisfaction que j'aurai amplement le temps
de faire aboutir mon enquête.
 Kalak se tourna vers Dorjan.
Rien ne permettait à Tithien de déterminer s'il l'avait convaincu.
 - Tout indique en effet qu'il disposera de plusieurs semaines
pour découvrir ce que préparent mes ennemis.
 Penaude, la templière hocha la tête
en gardant les yeux baissés.
 - C'est bien ce que je pensais...
 Après avoir marmonné ce commentaire,
Kalak referma ses doigts sur la nuque de l'esclave.
 - Voyons s'il est possible de l'aider...
 - Non !
 L'homme tenta de se dégager pour se jeter dans le vide,
mais il ne put se soustraire à cette prise.
 Sans s'y intéresser outre mesure,
Tithien attendit que le monarque fût entré dans l'esprit du prisonnier.
Il connaissait bien mieux le processus que la plupart des gens.
Ses parents avaient voulu qu'il s'initie aux arts psioniques,
qu'il découvre l'ascèse et le renoncement
afin de développer ses capacités spirituelles.
En se pliant à la discipline inflexible de son maître,
il avait appris à utiliser cette énergie
pour sonder les pensées d'autrui,
déplacer des objets par la seule force de sa volonté
et visualiser ce qui se trouvait derrière un mur.
Mais suivre la Voie de l'Invisible,
pour reprendre le terme consacré,
réclamait trop d'efforts.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #9 le: 03 juillet 2014 à 20:04 »
Sitôt qu'il avait été en âge de se soustraire à l'influence parentale,
il avait interrompu sa formation et opté pour la vie plus agréable
et lucrative des templiers.
 Kalak sourit.
L'esclave gargouillait et bavait.
La souffrance et la terreur déformaient plus encore
sa face déjà réduite en bouillie.
Puis ses mâchoires claquèrent et l'extrémité sectionnée
de sa langue glissa entre ses lèvres tuméfiées.
 Le roi lâcha le malheureux qui ouvrit sa bouche ensanglantée
pour libérer un hurlement muet et s'effondra sur la terrasse.
 Sans plus lui prêter attention,
Kalak se tourna vers Dorjan en agitant l'amulette.
 - Il en reste deux autres, dans ma ziggourat !
 La templière ne sut quoi répondre.
 - Ses pensées étaient à la fois aisément accessibles et précises.
 Elle recula, livide.
 - Je les trouverai et vous les remettrai avant le coucher du soleil.
 - Tu n'en auras pas la possibilité.
 Sans oser soutenir son regard,
elle tenta d'obtenir un sursis.
 - Ô Puissant ! Donnez-moi...
 Elle n'eut pas le temps de terminer sa supplique.
L'attaque fut d'une telle violence qu'elle affecta également Tithien.
Il faillit crier, quand l'image du Dragon se forma dans son esprit.
La bête balançait avec colère sa queue démesurée
et des vapeurs jaunâtres s'échappaient de sa gueule hérissée de crocs acérés.
L'abomination avait écarté ses bâtons et les tenait telles des armes.
Au sommet de l'un crépitait une petite sphère de feu rubis
et une flamme verte léchait l'extrémité de l'autre.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #10 le: 11 juillet 2014 à 13:01 »
 Tithien craignait d'être lui aussi victime de la fureur de Kalak,
lorsque le Dragon disparut.
Dorjan hurla et, d'un bout à l'autre de la terrasse,
tous murmurèrent de surprise.
Les jozhals et leurs surveillants avaient interrompu leurs activités
pour se tourner vers le point d'origine du râle d'agonie.
 Le templier assistait aux souffrances de sa rivale
en proie à une fascination morbide.
S'il se félicitait d'être débarassé d'elle,
cette exécution sommaire lui rappelait le prix que ses pairs
devaient parfois payer en échange des pouvoirs
que leur accordait le roi.
 Le cri de la femme décrut.
Elle finit par se taire et redresser le menton.
Ses yeux perdirent tout éclat,
des volutes de fumée sulfureuse s'échappèrent de ses narines
et une goutte de feu liquide verdâtre coula entre ses lèvres.
Tithien dut reculer pour ne pas être roussi
par la sphère ignée qui venait d'englober la tête de la templière.
 Elle s'effondra, privée de vie.
Il regardait la chair et les os qui achevaient de se consumer,
quand Kalak agita sous son nez l'objet couvert de runes.
 - Mes félicitations, Tithien.
Te voici promu Grand Templier des Œuvres du Roi.
Il ne te reste qu'à terminer ma ziggourat en trois semaines...
et à m'apporter les deux autres amulettes.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #11 le: 22 juillet 2014 à 12:37 »
                                            1
                                         Le Gaj

 RIKUS SE LAISSA GLISSER LE LONG DE LA CORDE POUR
atteindre le sol de l'arène et en finir avant que la chaleur ne devînt accablante.
Le soleil rouge venait de se lever et projetait des cirres incandescents
dans le halo olivâtre du ciel de l'aube.
Le sable était déjà brûlant et l'air empuanti par l'odeur rance du sang
et des entrailles en décomposition.
 L'animal qu'il devait affronter l'attendait au centre de la piste,
une bête ramenée du désert par les chasseurs de Tithien.
Elle avait rétracté ses pattes ou ses tentacules et s'était enfouie dans le sol,
d'où ne dépassait que la moitié supérieure de sa carapace couleur rouille
qui devait mesurer deux aunes de diamètre.
 Rikus vit une sphère blanchâtre spongieuse émerger du sable.
Trois antennes velues s'étiraient vers lui au-dessus d'un alignement d'yeux à facettes
et six palpes flanqués de grosses mandibules se balançaient à l'aplomb d'une gueule menaçante.
 Ces pièces buccales enserraient le corps mutilé de Sizzkus.
Jusqu'à la veille au soir, ce nikaal avait été son gardien.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #12 le: 01 novembre 2014 à 15:46 »
A présent, son menton pointu reposait sur sa poitrine écailleuse
et sous son abondante chevelure noire ses yeux sans paupières
ne fixaient plus que le néant.
Ses mains à trois griffes se balançaient sous les pinces du monstre
qui avaient broyé sa carapace.
Il n'en subsistait qu'un enchevêtrement d'éclats émeraude
festonnés par les rubans rosâtres de ses intestins.
A en juger par le nombre de ses blessures,
Sizzkus avait dû vendre chèrement sa vie.
 Ce qui surprenait Rikus , car il avait toujours été un modèle de prudence
avec tous ses pensionnaires.
S'il déclarait souvent que la plupart des nouvelles espèces
découvertes dans le désert n'étaient pas de taille
à résister aux prédateurs déjà en place,
il précisait que celles qui réussissaient à survivre
étaient les plus dangereuses et que leurs gardiens devaient être très vigilants.
 Rikus cessa de s'interroger pour retirer le manteau qui couvrait
son corps athlétique balafré et sa bande culotte de chanvre écru.
Puis il s'étira, car il avait à contrecœur fini par admettre
qu'il commençait à prendre de l'âge
et que ses muscles n'étaient plus aussi souples qu'autrefois.
 Il se félicitait d'avoir malgré tout conservé une apparence juvénile.
Il était fier d'avoir un cuir chevelu encore lisse,
des oreilles pointues qui ne s'affaissaient pas et des yeux limpides.
Son nez et son menton étaient fermes,
ses biceps saillants et ses pectoraux développés.
Malgré la raideur imposée par de vieilles fractures mal ressoudées,
il se targuait d'être aussi agile qu'un funambule.
 S'il n'avait pas plus souffert des nombreux combats livrés dans les arênes,
ce n'était pas sans raison.
Il était un Mûl, un hybride, mi-Humain, mi-Nain, la stérilité était leur fardeau,
engendré dans l'unique but d'obtenir le meilleur des combattants, un gladiateur.

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #13 le: 22 décembre 2014 à 20:16 »
Son père, qu'il n'avait jamais connu,
lui avait transmis la force et l'endurance des nains.
Sa mère, une malheureuse qui était morte dans les parcs à esclaves de la lointaine Urik,
lui avait apporté la taille et la rapidité des hommes.
Les maîtres qu'il avait eus pendant son enfance
- des brutes dont le souvenir l'emplissait de haine -
lui avaient appris à éviter la mort et à la donner.
Cependant, il ne devait qu'à lui seul son principal atout: sa détermination.
 Il avait cru jusqu'à l'âge de dix ans que tous les garçons
suivaient une formation de gladiateurs
puis étaient promus entraîneurs, voire anoblis.
Mais, un jour, le seigneur qui le possédait
était venu assister à leur entraînement accompagné de son fils.
En comparant sa bande culotte élimée
à la robe de soie de cet enfant chétif,
Rikus avait compris que ce n'étaient pas ses talents
qui lui permettraient de changer de statut.
Lorsqu'ils seraient tous deux des adultes,
l'un bénéficierait des privilèges de la noblesse
et l'autre serait encore un esclave.
C'était ce jour-là qu'il s'était promis de mourir en Mûl libre.
 Trente années et autant de brèves évasions plus tard,
il était toujours en servage.
S'il n'avait pas été un Mûl, il aurait depuis longtemps
trouvé la mort ou la liberté.
On l'aurait exécuté ou il aurait semé ses poursuivants dans le désert.
Mais ses semblables avaient trop de valeur
pour que leur propriétaire les élimine ou y renonce.
Parce qu'ils ne pouvaient perpétuer leur espèce
et que donner le jour à des enfants ayant leur conformation
était fatal à la plupart des femmes,
ils coûtaient plus cher qu'une centaine d'autres esclaves.


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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #14 le: 17 février 2015 à 20:22 »
Lorsqu'ils s'échappaient, leurs maîtres ne regardaient pas à la dépense pour les retrouver.
 Toutefois, son statut ne tarderait guère à changer.
Les jeux de la ziggourat se tiendraient dans trois semaines
et le roi avait annoncé que les vainqueurs de la dernière épreuve seraient affranchis.
Rikus avait la ferme intention de faire partie de ces heureux élus.
 Il termina ses exercices d'assouplissement et s'intéressa de nouveau au cadavre.
Il ne comprenait pas comment un individu aussi expérimenté avait pu se laisser surprendre
par une bête à première vue très lente et maladroite.
 - Vous n'avez pas pu le sauver ? demanda-t-il.
 - Nous n'avons pas essayé, répondit Boaz.
 En raison de son visage osseux, leur entraîneur lui faisait penser à un rongeur
aux arcades sourcilières saillantes.
Ses yeux clairs propres à tous les demi-elfes étaient comme toujours
injectés de sang après une nuit de beuveries dans les tavernes de Tyr.
 - Je n'allais tout de même pas risquer la vie de mes hommes pour un asservi.
 Il se dressait avec une douzaine de gardes et quatre esclaves
sur la plate-forme du mur d'enceinte.
L'arène se situait dans un angle isolé de la propriété du seigneur Tithien,
au milieu des bâtisses en briques de terre séchée
où logeaient les cinquante gladiateurs de son écurie.

olafgdumvardangh

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #15 le: 10 septembre 2015 à 18:42 »
 - Sisskuz était quelqu'un de bien. Vous auriez pu m'appeler.
 - Tu dormais, quand le gaj l'a attaqué,
et nous savons qu'à ton âge il est indispensable d'assouplir ses muscles
pour avoir des chances de survivre à un combat.
 Ses acolytes, des hommes corpulents protégés par des cuirasses
et armés d'épieux à pointe d'obsidienne, rirent de cet affront.
 Rikus se tourna vers eux.
 - Je pourrais tuer six d'entre vous avant de recevoir une seule égratignure,
gronda-t-il. J'espère pour vous que je ne suis pas la cause de votre hilarité.
 Ils se turent, car le Mûl avait toujours mis ses menaces à exécution.
N'avait-il pas égorgé son précédent entraîneur deux mois plus tôt ?
Ce fut l'avertissement que Tithien lui avait alors adressé qui l'incita à se contenir.
 Le grand templier était venu dans sa cellule en compagnie d'un jeune esclave,
que deux gardes avaient immobilisé pendant que leur seigneur
déposait sur sa lèvre supérieure une chenille pourpre.
Elle avait aussitôt pénétré dans une des narines du malheureux
qui s'était mis à hurler et à souffler pour tenter de l'expulser.
Ses efforts avaient été vains et,
quelques secondes plus tard,
du sang coulait de son nez et il s'effondrait, inconscient.
 - Elle s'aménage un nid dans son cerveau, avait expliqué Tithien.
Dans moins de six mois,
Grakidi aura perdu la vue et ne saura plus parler.
Son menton sera constamment humide de bave
et il fera des choses trop répugnantes pour que j'en parle.
Il vivra ainsi quelques semaines
puis la chenille se métamorphosera en papillon
et se forgera un chemin vers le monde extérieur
à travers une de ses cavités oculaires.
 Après avoir laissé à Rikus le temps de contempler Grakidi,
Tithien avait sorti d'une poche de sa chasuble une fiole contenant une autre chenille.
 - Ne t'avise plus de susciter ma colère !

olafgdumvardangh

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #16 le: 09 novembre 2015 à 13:21 »
 Le grand templier était reparti sans rien ajouter.
Grakidi avait depuis perdu un œil.
Il ne pouvait plus prononcer que son nom et il lui arrivait de s'égarer
en allant d'une cellule à l'autre pour vider les seaux hygiéniques.
Il souriait toujours, tel un simple d'esprit, et Rikus se détournait sitôt qu'il le voyait.
Il se sentait responsable de son infortune
et avait décidé de lui offrir une mort rapide et indolore dès que l'occasion s'en présenterait.
 Boaz finit par réagir à ses propos.
 - Ce sont mes gardes, et ils rient quand ça leur chante.
Ne les menace pas, esclave.
 - Préférez-vous que je les tue sans sommation ?
 - Nul ne peut espérer ramener à la raison un Mûl,
fit-il en se tournant vers les quatre autres esclaves.
C'est donc un de tes amis que je punirai pour ton insolence.
Qui vais-je faire fouetter ? Neeva ?
 Il désigna la partenaire de Rikus, une humaine blonde aux yeux émeraude.
Sa cape entrouverte révélait un corps presque aussi musclé que le sien.
Avec ses lèvres charnues vermeilles et son teint clair,
elle symbolisait à la fois la force et la beauté.
 Ils formaient un couple bien assorti,
ce qui signifiait qu'en plus de partager la même couche
ils se battaient côte à côte dans les arênes.
En fait, ils auraient d'excellentes chances de remporter l'épreuve
dont l'enjeu serait leur affranchissement.
 Rikus se contenta de fixer Boaz, qui haussa les épaules.
 - Yarig et Anezka, peut-être ?
Etant donné qu'ils sont bien plus petits que toi,
il faudra les fouetter tous les deux.
 Des propos qui indignèrent Yarig.
Comme tous les Nains, il mesurait environ quatre pieds et était glabre.
Il avait des traits anguleux et une arête osseuse qui saillait au sommet de son crâne.
Il était si trapu et musclé que Rikus le comparait souvent à un rocher.
 - C'est injuste, Boaz, protesta-t-il.
La douleur n'est pas proportionnelle à la taille !
 - La justice est le dernier de mes soucis.
 - Nous souffrons autant que les autres, insista-t-il.
 Travers propre à la plupart de ses semblables,
il avait tendance à accorder de l'importance à des détails insignifiants.
 Anezka s'approcha de son partenaire pour l'inciter à se taire,
tout en foudroyant le Mûl du regard.
Elle avait souvent été punie à sa place et ne dissimulait pas sa rancœur.
Grande de seulement trois pieds et demi,
cette petite-gens était originaire de l'autre versant des Monts Cernants.
Elle eût évoqué une enfant décharnée si ses traits n'avaient été ceux d'une femme mûre.
Sous des cheveux qu'elle ne démêlait jamais,
ses yeux marron avaient l'éclat de la folie.
Comme on lui avait tranché la langue,
il était impossible de déterminer si elle était démente ou si elle n'en avait que l'apparence.
La plupart des gens évitaient d'aborder le sujet,
car elle était friande de viande et avait coutume de dévorer ses proies encore vivantes.
 Yarig s'écarta et s'avança vers Boaz.
« Modifié: 07 juin 2016 à 23:43 par olafgdumvardangh »

olafgdumvardangh

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Re : Le passage verdoyant
« Réponse #17 le: 07 juin 2016 à 23:19 »
 - Tu ne dois faire fouetter qu'un seul d'entre nous.
 Deux gardes baissèrent leurs épieux, pour l'empêcher d'approcher.
 - Boaz vous laissera tranquilles, déclara Rikus.
 - Qui sera puni, alors ? demanda l'entraîneur. Ta maîtresse ?
 Rikus gronda. Leurs rapports n'étaient un secret pour personne,
mais Neeva avait horreur qu'on en parle et il ne tenait pas à se battre
au côté de quelqu'un dont le discernement serait faussé par la colère.
 Boaz se tourna vers la dernière esclave et lui fit signe d'approcher.
Comme lui, Sadira était une demi-elfe aux sourcils saillants,
mais leur ressemblance s'arrêtait là.
Si les traits de l'entraîneur étaient taillés à la serpe,
ceux de cette fille sensuelle étaient magnifiques.
Elle avait des yeux limpides comme de la tourmaline
et de longs cheveux soyeux de la couleur de l'ambre.
 N'étant pas gladiatrice, elle portait une tunique de chanvre échancrée
descendant à mi-cuisses.
Toutes les esclaves avaient un tel vêtement,
mais il était sur elle aussi aguichant que les robes
aux profonds décolletés des gentes dames de la noblesse.
 Quand elle fut près de lui, Boaz posa sa grosse main
sur son épaule nue.
Elle serra les dents et laissa le demi-elfe lubrique la caresser.
 - Je serai désolé de flétrir tant de beauté
par des marques de fouet. Néanmoins,
si tu y tiens vraiment...
 - Tu sais ce que je veux. Défoule-toi sur moi.
Je ne résisterai pas.
 Boaz ricana.